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La Réaction Lymphocytaire Mixte (MLR), un modèle in vitro de réponse immunitaire allogénique

 

La réaction lymphocytaire mixte (ou MLR, pour Mixed Lymphocyte Reaction) est une technique fondamentale en immunologie, permettant d'étudier les interactions allogéniques, c’est à dire les interactions immunitaires entre cellules de donneurs différents qui sont activées par un mécanisme d’alloréactivité. Dans cet article, nous explorerons divers modèles de MLR impliquant des donneurs distincts. Ces modèles de culture in vitro visent à approfondir notre compréhension des réponses immunitaires croisées et des mécanismes de tolérance, notamment dans les situations de greffe d’organe.

 

1 – Qu'est-ce que l’alloréactivité ?

L’alloréactivité peut être définie comme étant le mécanisme par lequel des cellules immunitaires d’un individu A vont reconnaître des molécules exprimées par les cellules d’un autre individu B (dites molécules allogéniques) mais qui ne sont pas exprimées par les cellules du donneur A (dites molécules autologues). Cette situation de conflit immunologique entre les cellules de deux individus se rencontre en situation de greffe d’organe lorsque le système immunitaire du patient reconnait et réagit contre les tissus de l’organe greffé, conduisant à un rejet du greffon. Dans certains cas, notamment de greffe hématopoïétique ou de greffe de foie, la situation inverse peut se produire : c’est le système immunitaire du donneur qui peut être amené à réagir à l’encontre des tissus du receveur, conduisant à une complication sévère de la greffe : la réaction du greffon contre l’hôte.
 
Si l’alloréactivité se traduit généralement par des phénomènes de rejet, elle peut également être associée, à l’inverse, à des mécanismes de tolérance conduisant à l’acceptation des cellules étrangères.
 
Ainsi, la grossesse (qui est la seule situation physiologique d’alloréactivité puisque le système immunitaire de la mère va se trouver en présence des tissus du bébé, qui expriment pour partie des molécules issues du patrimoine génétique du père) peut être considérée comme une situation allogénique conduisant à une tolérance durant 9 mois...
 
L’alloréactivité est induite principalement par les lymphocytes T qui vont reconnaître des différences d’expression de protéines codées par le Complexe Majeur d’Histocompatibilité (CMH) de l’autre individu. Les lymphocytes T CD4 reconnaissent les différences de molécules du CMH de classe II, principalement exprimées par certaines cellules du système immunitaires (cellules dendritiques, monocytes, lymphocytes B, lymphocytes T activés...) tandis que les lymphocytes T CD8 reconnaissent les différences de molécules du CMH de classe I, exprimées par la quasi-totalité des cellules de l’organisme. Les lymphocytes NK et B peuvent également être impliqués dans des phénomènes d’alloréactivité, selon d’autres mécanismes moléculaires de reconnaissance.
 

2 - Les divers modèles de MLR

2.1 - La MLR Unidirectionnelle

La MLR unidirectionnelle consiste à cocultiver des lymphocytes T d’un donneur A (dont les cellules sont dites ‘’répondantes’’) avec des cellules d’un autre donneur B (dites ‘’stimulantes’’). Les cellules stimulantes sont traitées préalablement à la mise en culture afin d’inhiber leur capacité à proliférer. Ainsi, durant la coculture, les lymphocytes T alloréactifs du donneur A, c’est à dire la fraction de lymphocytes T reconnaissant la différence des haplotypes HLA exprimés par les cellules stimulantes mais non exprimés par les cellules du donneur A, sont activés par la différence et prolifèrent. Les cellules stimulantes finissent pas mourir en quelques jours.
 
Protocole de MLR unidirectionnelle :
  1. Isolement des PBMCs : Les cellules mononucléées du sang périphérique (CMNs ou PBMCs) sont isolées de deux donneurs distincts.
  2. Irradiation des cellules stimulantes : Les PBMCs du donneur B sont irradiées pour éliminer leur capacité proliférative tout en préservant leur capacité à stimuler les lymphocytes T du donneur A. Une alternative à l’irradiation consiste à traiter les cellules répondantes à la mitomycine C, un puissant alkylant induisant l’apoptose des cellules stimulantes.
  3. Coculture : Les PBMCs irradiées du donneur B sont mélangées avec les PBMCs non irradiées du donneur A, conduisant à une réaction allogénique unidirectionnelle où les lymphocytes T du donneur A interagissent avec les PBMCs irradiées du donneur B. Deux témoins négatifs d’activation lymphocytaire peuvent être réalisés soit en cultivant les cellules répondantes seules soit en cocultivant les cellules répondantes avec des cellules stimulantes autologues, c’est à dire issues du même donneur A.
 

2.2 - La MLR bidirectionnelle

  1. Isolement des PBMCs : Les PBMCs sont isolées de deux donneurs distincts.
  2. Irradiation des PBMCs : Une partie des PBMCs du donneur A et du donneur B sont chacune irradiées pour éliminer leur capacité proliférative.
  3. Coculture réciproque : Les PBMCs irradiées du donneur A sont mélangées avec les PBMCs non irradiées du donneur B, et vice versa. Cela crée un environnement bidirectionnel où les lymphocytes T des deux donneurs interagissent avec les PBMCs irradiées de l'autre donneur.
  4. Contrôle Unidirectionnel : Des cultures sont également réalisées de manière unidirectionnelle, avec les PBMCs irradiées d'un donneur et les PBMCs non irradiées de l'autre donneur, pour permettre une comparaison directe avec la MLR unidirectionnelle.
 

2.3 - MLR primaire et MLR secondaire

La coculture de cellules répondantes et stimulantes est appelée MLR primaire. A la fin des 7 jours de culture, les cellules répondantes du donneur A peuvent être restimulées par les cellules stimulantes du donneur B : il s’agit alors d’une MLR secondaire, au sein de laquelle la réponse proliférative sera plus rapide que lors de la MLR primaire, mimant une réponse immunitaire mémoire. Une étape préalable de mise au repos des cellules répondantes (‘’starving’’) est en général réalisée entre la fin de la MLR primaire et l’initiation de la MLR secondaire, en mettant les cellules répondantes en culture durant 24 à 72h dans du milieu de culture en l’absence de toute stimulation par des cytokines ou toute activation afin de permettre leur retour en phase G0/G1 du cycle cellulaire.
 
Un témoin négatif de réponse proliférative peut être réalisé en cultivant les cellules répondantes avec des stimulantes autologues. Un témoin de spécificité de la réponse immunitaire peut aussi être réalisé en cultivant les cellules répondantes avec des stimulantes tierce partie, issues d’un troisième donneur C.
 

2.4 - Modèles alternatifs

Les cellules classiquement utilisées dans lors de MLR sont les CMNs, cultivées à une concentration d'un million de cellules répondantes par millilitre. Cependant, il est possible d’adapter ce modèle en fonction de la question scientifique abordée. Les cellules répondantes peuvent être d’autres types cellulaires : cellules endothéliales, mésenchymateuses, lignées B transformées par le virus d’Epstein-Barr, monocytes ou cellules dendritiques.
 
Un critère important à prendre en compte est le ratio entre le nombre de cellules répondantes et le nombre de cellules stimulantes (R:S), qui doit être adapté en fonction de la nature des cellule stimulantes. Si le ratio R:S est classiquement de 1:1 lors de l’utilisation de CMNs comme stimulantes, il doit être beaucoup plus élevé si on utilise des cellules dendritiques comme stimulantes (100:1), car celles-ci étant très immunostimulantes, il suffit de très peu de cellules dendritiques au sein de la culture pour initier une réponse alloréactive de la part des cellules répondantes.
 
Des cellules tierce, autologues aux cellules répondantes (donneur A) ou aux stimulantes (donneur B) ou, en témoin, issues d’une tierce partie (donneur C) peuvent être introduites dans la coculture pour évaluer leur interférence dans la réponse immunitaire. Ce peut être le cas par exemple de cellules souches mésenchymateuses qui, de par leurs propriétés anti-inflammatoires et immunosuppressives, peuvent inhiber la MLR.
 

3 - Analyse de la réponse allogénique

3.1 - Prolifération Cellulaire

La prolifération des lymphocytes T est évaluée à l'aide de marqueurs de division cellulaire. Les cellules répondantes peuvent par exemple être marquées avec un traceur de type CFSE avant la mise en culture, ou bien par marquage au BrDU durant la culture, la réponse proliférative étant analysées par cytométrie en flux. Habituellement, le maximum de réponse proliférative est atteint entre 5 et 7 jours de culture. Cependant, une phase préliminaire de mise au point du modèle, par la réalisation d’une étude cinétique de la réponse proliférative est recommandée afin de valider le temps optimal de réponse.
 

3.2 - Cytokinémie

Les niveaux de cytokines sécrétées sont mesurés pour évaluer les profils de réponse immunitaire. Les cytokines peuvent être dosées dans le surnageant de culture par la technique ELISA ou par analyse multiplex en cytométrie par exemple. Un marquage intracellulaire des cytokines peut être associé à un marqueur de prolifération pour une analyse par cytométrie en flux. Une étape préalable de mise au point est nécessaire pour définir le temps optimal de sécrétion de cytokines, celui-ci étant variable selon la cytokine considérée.
 

3.3 - Expression de Marqueurs d'Activation

L'expression de marqueurs d'activation des lymphocytes T ou de marqueurs d’épuisement est analysée par cytométrie en flux pour comprendre l'ampleur de l'activation cellulaire.
 

4 - Applications du modèle de MLR

Les applications du modèle de MLR sont multiples. En voici quelques exemples.
 
Étude des interactions immunitaires : La MLR offre une plateforme in vitro pour examiner comment les cellules immunitaires interagissent les unes avec les autres, simulant ainsi les réponses immunitaires qui se produisent en situation de greffe d’organe, notamment lors du rejet de greffe ou d’une réaction du greffon contre l’hôte.
 
Compréhension de la tolérance immunitaire : En exposant les lymphocytes T à des cellules présentatrices d'antigènes (CPA) provenant d'un donneur différent, la MLR peut être utilisée pour étudier les mécanismes de tolérance immunitaire. Cette tolérance est essentielle pour éviter les réponses immunitaires indésirables contre les tissus du propre organisme.
 
Évaluation des réponses prolifératives : La MLR permet d'évaluer la capacité des lymphocytes T à se diviser en réponse à la stimulation antigénique. Cela fournit des informations sur la spécificité et la force de la réponse immunitaire.
 
Analyse des profils cytokiniques : En mesurant les cytokines produites lors de la MLR, les chercheurs peuvent comprendre les profils de réponse immunitaire. Cela aide à caractériser les types de réponses immunitaires, qu'elles soient pro-inflammatoires, régulatrices ou d'autres types.
 
Modélisation des réponses immunitaires croisées : En utilisant des cellules de donneurs différents, la MLR peut être employée pour modéliser les réponses immunitaires croisées, où les lymphocytes T réagissent à des antigènes provenant d'un donneur différent. Cela est particulièrement pertinent pour comprendre les mécanismes de rejet dans les transplantations d'organes.
 
Développement de thérapies immunitaires : La MLR peut aider à évaluer l'efficacité de nouvelles thérapies en étudiant comment les lymphocytes T réagissent en présence de médicaments ou de modulateurs immunitaires potentiels.
 
Étude des Maladies Auto-immunes : En utilisant la MLR autologue, il est possible d’examiner les réponses immunitaires dans le contexte des maladies auto-immunes, où le système immunitaire attaque les propres cellules du corps.
 
L’utilisation de cellules stimulantes issues de divers donneurs, autologues, allogéniques ou tierce-partie permet d’analyser la spécificité des réponses immunitaires plus facilement qu’avec des stimulations antigéniques. En effet, la fréquence de cellules alloréactives est plus importante de plusieurs ordres de grandeur que la fréquence de cellules naïves spécifiques d’un antigène, ce qui rend la détection de l’activation lymphocytaire plus aisée. De ce point de vue, la MLR est un modèle expérimental in vitro à la fois complexe du point de vue des mécanismes moléculaires de reconnaissance mis en œuvre pour l’activation lymphocytaire mais simple du point de vue technique.